Dans ce
texte, le poète renvoie à un exilé dont la patrie subit le règne de
l’arbitraire. Dans un prélude où la poésie se mêle à la méditation, il
s’adresse à ses anciens amis. Il les hèle vainement. Il les retrouve dans le
rêve. Il les considère comme la seule voie de secours pour chasser l’angoisse
qui le hante et qui le dévore sur une terre étrangère.
Dans un
rappel historique, le poète met en scène un pays innommé, mais il s’agit bien
sûr de l’Algérie, où toutes les cartes sont brouillées. Ceux qui, hier, furent
du côté de l’ennemi sont aux commandes. Ils ont chassé tous les autres, ceux-là
même qui ‘’ont préparé la grenaille de plomb» pour l’ennemi au moment où les
autres lui préparaient des ‘’agapes’’.
Mais, la
génération d’alors, happée par les nécessités terre à terre d’aujourd’hui, ne
se souvient plus. La mémoire de la nouvelle génération ne s’articule sur aucun
relais. Il faut bien procéder à un travail de mémoire. Le héros du poème
rappelle que, à la fin de cette ‘’malédiction’’ (la guerre), il finit par
tomber sous la férule et la protection des anciens félons.
Gardant sa
fierté et ne voulant céder à aucun clientélisme, il fait valoir l’authenticité
de ses racines : ‘ . C’est alors qu’il décide de s’exiler laissant son frère
aux commandes ‘’se livrer à ses lubies’’ (‘’labourer et battre le blé’’, selon
le texte kabyle).
Ce sont tous
les avatars de l’Algérie indépendante qui sont sériés dans ce texte d’Aït
Menguellet. C’est la révolution dévoreuse de ses enfants. Exilés politiques,
artistes réduits au silence, exilés de la parole libre, bref, tous ceux qui ont
subi le retour de manivelle d’un combat dénaturé et perverti par les
‘’légionnaires’’ de la 25e heure et les médiocres à qui le destin a
curieusement et injustement souri. Une vacuité sidérale hante le pays et un
malaise indéfinissable habite les esprits.
Le poète y
met une poésie d’une rare beauté faisant intervenir un élément du cosmos, la
lune, que l’exilé interrogera par une série de questions. Ici, la lune est
considérée comme un élément fédérateur observé par l’exilé depuis son lieu
d’élection mais aussi par les amis qu’il a laissés au pays. Subitement, un
autre élément de la nature survient. C’est le brouillard. L’exilé engagera un
dialogue avec cette masse brumeuse. Il la questionnera sur son lieu de
provenance. Le brouillard vient du pays du proscrit. Qu’a-t-il vu ?
Il a vu les
amis chéris de notre infortuné proscrit. Ce dernier veut savoir si son frère
tien toujours les rênes du pouvoir. Le brouillard lui répond par l’affirmative
en lui faisant observer que c’est un ‘’pouvoir sans brides’’ qui ne redouterait
rien ni personne à vouloir se perpétuer. L’arbitraire continue, lui apprend-t-il.
Même si, par
intermittences, il est mis en veilleuse, il se régénère. Voulant savoir où se
destine exactement le brouillard que ramènent les vents jusqu’au lieu où se
trouve le proscrit, cet élément de la nature lui annonce qu’il vient en
mission, sur ordre des frères régnant sur le pays, pour voiler le soleil de
l’infortune exilé !
Mordante
allégorie à la situation d’arbitraire vécue par l’Algérie pendant les années 70
après une révolution sanglante mais prometteuse, A Yagu est l’un des textes
d’Aït Menguellet les plus élaborés sur le plan du style, du contenu politique
et revendicatif et sur le plan de la ‘’narration’’ si l’on peut se permettre ce
concept appliqué à la prose.